La voix s’enfle et plane dans la maison sans portes au-dessus des hibiscus du jardin miniature. Chaude, pleine, faisant vibrer la voyelle trop longue et chuinter le J, à la portugaise. Une voix insistante et enveloppante, à laquelle il est difficile de résister.
«Je n’entends pas, je n’entends pas, je n’ai pas entendu !> répète dans sa tête, pour bien se convaincre, la petite fille joliment perchée sur le siège de fenêtre. D’elle, on ne voit qu’un paquet de mousseline blanche, d’où émerge une jambe nerveuse qui balance une sandale. L’autre genou plié, elle se penche si fort qu’on n’aperçoit même plus sa tête derrière les volants en bataille. Elle guette l’insolite défilé des palanquins à rideaux de soie qui, ce matin, se pressent, tandis que les gardes armés de bambous repoussent les piétons, Cafres, Maures enturbannés, coolies dont s’écartent avec soin les rares Hindous de caste. Un pouce de plus en avant, et elle pourra apercevoir, elle en est sûre, l’angle de la place où se fait un remous dans la foule en marche vers le bazar, et où passera peut-être, d’un instant à l’autre, la calèche de Mon- sieur le Gouverneur de Pondichéry, abrité du soleil meurtrier par un grand parasol à franges.
– Jea-anne!
La voix s’est durcie. Tout doux, tout doux, à regret, encore cramponnée au chambranle de teck, Jeanne montre en profil perdu son petit nez encore pointé vers la rue, et rejette une boucle noire derrière l’oreille. Chaque ligne de son corps proteste, le cou tendu, la taille arquée, le pied impatient dans la sandale plate, mais la voix est unie et contrôlée.
– Laissez-moi regarder, maman! Il y a tant de monde aujour- d’hui, pourquoi ? est-ce jour de fête ?
Maman – Rose Albert de Castro- n’a pas envie de répondre. Un supplice, c’est une bien étrange fête. Jeanne n’a que dix ans, elle n’est d’âge ni à savoir ni à comprendre. Rose s’évente, elle
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Jeanne Dupleix (Rose Vincent)
La voix s’enfle et plane dans la maison sans portes au-dessus des hibiscus du jardin miniature. Chaude, pleine, faisant vibrer la voyelle trop longue et chuinter le J, à la portugaise. Une voix insistante et enveloppante, à laquelle il est difficile de résister.
«Je n’entends pas, je n’entends pas, je n’ai pas entendu !> répète dans sa tête, pour bien se convaincre, la petite fille joliment perchée sur le siège de fenêtre. D’elle, on ne voit qu’un paquet de mousseline blanche, d’où émerge une jambe nerveuse qui balance une sandale. L’autre genou plié, elle se penche si fort qu’on n’aperçoit même plus sa tête derrière les volants en bataille.










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